Image de la couverture du livre ils étaient 10. Le couverture est composé d'un gramophone mis en valeur par une couleur claire sur du noir très sombre. En-dessous de celui-ci est noté le nom de l'auteure Agatha Christie suivi du titre du livre : Ils étaient dix.

Le sens du mot en N : débat actuel d’un mot du passé

Le sens du mot en N : débat actuel d’un mot du passé

« Sous le régime de l’esclavage le nègre fut magnifique. […] On lui brisait le corps, on lui torturait l’âme. […] Et le nègre résista. Dompté, il ne le fut jamais » Aimé Césaire

Le mot « nègre » a une longue histoire. Dérivé du latin niger, qui signifie noir en tant que couleur, il est introduit en ancien français au XVIe siècle pour désigner la couleur noire. Ainsi pouvait-on lire « Que je en la nigre montagne / M’en aile desous Andioche » dans le dictionnaire de Godefroy, à cette époque. Peu de temps après, il sera repris en 1529 au mot espagnol negro pour désigner les personnes de couleur noire. Aujourd’hui, majoritairement dans les pays ayant participé au commerce triangulaire, le mot conserve un sens extrêmement péjoratif et sujet à polémique. De plus ce mot a toujours été là pour rabaisser une population discriminée : « Viens-tu ici nous insulter avec ces noms odieux, inventés par le mépris des blancs ? Il n’y a ici que des hommes de couleur et des noirs. » (Hugo, dans Bug-Jargal, 1826, p.152)

© Rokhaya DIALLO et Grace LY
Podcast Kiffe ta race

Kiffe ta race – Le mot en haine

Kiffe ta race est un podcast de Binge Audio animé par Rokhaya Diallo et Grace Ly. Dans cette épisode, Rokhaya Diallo et Grace Ly nous expliquent d’où vient le mot en N et en quelle mesure son utilisation est problématique.

Réalisation : Mathieu Thèvenon. Générique : Shkyd. Production : Camille Regache et Lorraine Besse. Édition : Naomi Titti. Identité sonore Binge Audio : Jean-Benoît Dunckel (musique) et Bonnie El Bokeili (voix). Identité graphique : Manon Louvard (Upian). Direction des programmes : Joël Ronez. Direction de la rédaction : David Carzon. Direction générale : Gabrielle Boeri-Charles.

Le mot « nègre » en littérature

La récente réédition du roman d’Agatha Christie Dix Petits Nègres en Ils étaient 10 est un exemple parfait de l’évolution de nos sociétés. En effet, ce n’est que 80 ans après la première publication de l’œuvre que James Prichard, héritier de l’écrivaine, prit la décision de modifier le titre et de substituer le mot « soldat » au mot « nègre » dans l’intégralité du texte. Ce changement montre qu’à notre époque, plus d’attention est accordée à l’emploi de certains termes et à leur connotation, pouvant être considérée comme discriminante, stigmatisante ou insultante.

Films, téléfilms, séries, pièces de théâtre ou encore jeux vidéo, le roman Dix Petits Nègres a été adapté sur de nombreux formats depuis la sortie du film originel Dix Petits Indiens en 1945. Si on s’intéresse particulièrement aux séries : Agatha Christie : Dix Petits Nègres datant de 2015 et Ils étaient dix diffusée fin 2020, certaines caractéristiques du roman s’y retrouvent. En plus de la modification de titre des éléments majeurs de l’œuvre ont été modifiés. En effet, les statuettes africaines n’ont plus du tout la même apparence dans la série de 2015 que dans le film originel. Cet exemple met en avant l’adaptation des médias aux polémiques. 

Un racisme colonial : parler « petit-nègre »

Parler « petit-Nègre », un français approximatif parlé par les peuples noirs colonisés. La célèbre marque Banania en a même fait un slogan avec son « y a bon Banania ». Seulement, ce langage est issu de l’empire colonial. En effet, à partir du XVIIIe siècle l’armée française apprend ce « français simplifié » aux colonies. C’est en réalité une marque d’infériorité qui est ensuite reprise comme expression populaire. Aujourd’hui cataloguée comme raciste, « Parler petit-nègre » est une expression qui a longtemps été ancrée dans la langue française pour désigner une personne, en général un·e enfant ne parlant ou n’écrivant pas un français correct.  

Tintin, célèbre bande dessinée belge est une illustration parfaite du racisme transporté par le langage « petit-nègre ». En effet, même près de 90 ans après sa publication en 1931, Tintin au Congo est critiqué pour l’aspect des peuples d’Afrique noire qu’il retranscrit. Nous retrouvons ici les congolais vu comme fainéants, paresseux, infantilisés ou encore parlant un langage caricaturé. Ce langage n’est autre que le « petit-nègre ». Cette bande dessinée est donc la parfaite représentation de l’image que se faisaient les pays européens sur les pays d’Afrique noire. Il est important de contextualiser une œuvre avec son époque et par les courants de pensées qui la traversent.

Illustration tirée des planches de Tintin au Congo. Nous pouvons constater que les élèves noirs auxquels Tintin, l’homme blanc, va enseigner parlent « petit-nègre ». Parfaite représentation de la colonisation et des images véhiculées au début du XXe siècle. 

La négritude : mouvement littéraire et politique

Le mot « négritude » renvoie à l’ensemble des valeurs culturelles et spirituelles revendiquées par des personnes noires comme leur étant propres. Pourtant, ce terme apparaît en 1935 sous la plume de Léopold Sédar Senghor, d’Aimé Césaire et d’Alioune Diop. C’est un mouvement qui se forme à Paris, dans l’entre-deux guerres, littéraire et politique, porté par ces trois poètes. La force de ce mouvement est le fait de s’approprier les caractéristiques et valeurs culturelles des peuples de race noire (dans le sens social) comme leur étant propres et porter haut la fierté de cette appartenance. L’objectif ? Revendiquer l’identité noire et sa culture, pour, à terme, dénoncer le colonialisme et la domination coloniale.

© FRANCE CULTURE

Jacques Bonnaffé lit la poésie

Dans ce podcast, Jacques Bonnaffé lit un poème, celui de Léon-Gontran Damans, 1937, extrait du recueil de poèmes « pigments », traitant de la négritude.

Le terme négritude prend son origine du latin niger, qui signifie noir, et du suffixe -itude, qui indique un état, en l’occurrence un état d’oppression, pour renforcer la portée du mot. Il a été inventé par Aimé Césaire à l’occasion de la création de la revue « l’Étudiant noir », journal mensuel des étudiant·es martiniquais·es en France, dont seulement deux exemplaires sont disponibles à ce jour. Aimé Césaire, Alioune Diop, Léopold Sédar Senghor. Trois visions différentes de la négritude et de ses valeurs, mais trois idéalistes qui ont porté haut la flamme de ce combat qui n’est aujourd’hui toujours pas entériné.

© Wikimedia Commons
« La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture. »
Aimé Césaire – 1913-2008 – Liberté 3

© INA Vidéo INA 1963 – Rencontre avec Aimé CESAIRE – La négritude

Nigger, Nigga, the n-word

Le mot nigger est d’autant plus tabou aux États-Unis aujourd’hui, où il est le symbole d’une histoire douloureuse qui le rend lourd de sens. Il est désigné, dans les médias, par the n-word pour ne pas être prononcé. La communauté afro-américaine a milité des années pour faire interdire ce mot, notamment via la National Association of the Advancement of Colored People (NAACP), organisant même son enterrement symbolique en 2007 à Détroit, avec cercueil et procession funéraire. Son utilisation n’est pas tolérée, même lorsqu’il s’agit de dénoncer un fait de racisme. Ainsi, en 2015, lorsque Barack Obama a prononcé dans une interview : « Il ne s’agit pas seulement de ne pas dire nègre en public parce que c’est impoli », interview dans laquelle il affirmait que le pays n’était « pas guéri du racisme », le mot nigger a été « bipé » par les chaines de radio. Le public s’est offensé de voir un tel mot prononcé dans une prise de parole officielle.

© NAACP.ORG
Enterrement symbolique du mot nigger à Détroit organisé par la NAACP en 2007

L’usage du mot s’est pourtant diffusé via la culture rap et hip-hop, où il est repris en geste de réappropriation, devenu presque un gimmick du genre. Il s’est néanmoins rapidement transformé en nigga, mot adouci symbolisant la solidarité entre personnes noires, face au racisme. L’utilisation du terme par des rappeur·euses non noirs ne fait cependant pas l’unanimité. Même si le mot est très présent dans les paroles de rappeur·euses, il dérange lorsqu’il est prononcé par des personnes blanches. Ainsi, dans l’un de ses concerts, le rappeur Kendrick Lamar a stoppé une fan (blanche) venue chanter avec lui sur scène, alors qu’elle prononçait les paroles de son titre M.A.A.D City, contenant 21 occurrences du mot. C’est à l’occasion de ce type d’événements que le débat refait surface : qui a le droit d’utiliser ce mot et dans quel contexte ? Si la réponse partage l’opinion, il convient de se poser la question, surtout lorsqu’on ne fait pas partie des concerné·es.

Kendrick Lamar calls out a fan for using N-Word in his song – The View

Extrait du talk-show américain The View, faisant suite au concert de Kendrick Lamar en 2017.

© THE VIEW
Extrait du talk-show américain The View

Le mouvement Black Lives Matter, né en 2013 aux États-Unis, a bénéficié d’une grande visibilité médiatique en cet été 2020, suite à la mort de Georges Flyod, tué par un policier en marge de manifestations à Minneapolis. Le #BlackLivesMatter a été repris dans de nombreux médias et est devenu, en quelques jours, un slogan universel, déclenchant une prise de conscience mondiale sur la question raciale. Ce qui est certain, c’est que le mot nègre n’a pas fini de faire parler de lui…

Pendant le confinement, l’industrie du jeu vidéo a apporté son soutien au mouvement. Démontrant ainsi que le #BlackLivesMatter a dépassé les frontières et a engendré un soutien mondial.

Interview d’Élara Bertho, chargée de recherche au CNRS

Note de sens

Élara Bertho

Élara Bertho, chargée de recherche au CNRS, affiliée au laboratoire Les Afriques dans le Monde nous partage ses recherches et nous parle de la colonisation.


Pour poursuivre la visite

MICHEL Aurélia, Un monde en nègre et blanc Sciences humaines – Seuil.

Peut-on encore utiliser le mot « nègre » en littérature, avec Dany Laferrière.

PECK Raoul, 2017. I Am Not Your Negro. Netflix