Dis-leur !
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Donner du sens aux sons
Dis-leur ! Oui d’accord, mais comment est-ce que l’on comprend ce que nous disons ? La faculté de langage est innée chez l’être humain. Et cette faculté on l’utilise tous les jours pour échanger entre nous, que ce soit de façon écrite ou orale, que l’on soit la personne qui s’exprime ou celle qui reçoit. Des sons sortent de notre bouche et le ou la destinataire fait émerger un sens de ce brouhaha. La psycholinguistique est l’étude du fonctionnement et du traitement du langage. Essayons d’en faire une autopsie.
[Musique jingle]
Lorsque l’on discute verbalement, la personne que l’on a en face de nous et qui nous écoute doit traiter 200 mots par minute en moyenne. Ce qui signifie qu’elle n’a que 300 millisecondes pour interpréter chaque mot. Durant ce laps de temps c’est tout un déroulé de processus qui se fait inconsciemment. À la fin de cet enchaînement de manœuvres mentales nous arrivons à faire le lien entre le son que l’on perçoit et la signification des mots employés.
Une phrase prononcée à haute voix, contrairement à une phrase écrite, est caractérisée par sa forme directionnelle. C’est-à-dire qu’elle dure dans le temps. Les informations sont les unes à la suite des autres, ainsi l’ordre des mots est d’une importance primordiale. Une phrase orale est également continue, il n’y a pas d’espace ou de temps de silence entre les mots. D’où l’importance de l’articulation ! Enfin la parole est variable, c’est-à-dire que les mots ne sont pas toujours cités de la même façon. Tout dépend de la personne que l’on a en face de soi, de son âge, de son sexe ou de son origine. Toutes ces variables, nous devons être capable de les rassembler sous une même interprétation.
Passer de sons à une conversation
Concrètement, comment passons-nous de sons à une conversation avec du sens ? Pour répondre à cette question il existe plusieurs modèles. L’un des premiers à avoir été proposé est le modèle de la Cohorte. Laissez-moi vous l’expliquer. Lorsque l’on écoute une phrase, on entend d’abord des sons, des phonèmes plus précisément. Il s’agit des unités les plus petites que l’on puisse obtenir quand on segmente le son des mots. En français nous avons 16 voyelles comme « a », « e », « eu » de peur ou le « eu » de peu, « on », « o » et toutes les autres. Nous avons aussi trois demi-voyelles : « ye », « we » ainsi que « ui » et 17 consonnes telles que « r », « s », « ch », « gn »… Au fur et à mesure qu’il ou elle perçoit ces phonèmes l’auditeur ou l’auditrice crée une sorte de cohorte, un ensemble de mots candidats qui commencent par cette succession de phonèmes. On élimine ensuite petit à petit ceux qui ne correspondent pas à cette suite de sons jusqu’à n’en avoir plus qu’un seul, c’est le point de reconnaissance : nous avons identifié le mot. Ce point de reconnaissance concorde avec le point d’unicité. Il s’agit du phonème à partir duquel seul le mot deviné est présent dans la cohorte. Par exemple, si je vous dis « spag » vous pouvez déjà deviner « spaghetti » puisqu’aucun autre terme dans la langue française ne correspond à ce signal sonore.
Le modèle que nous venons de décrire ne prend pas en compte le contexte de la phrase. En effet on peut imaginer que l’identification des termes employés peut être aidée par ce contexte. Et bien, là encore, plusieurs modèles prennent en compte ou non ce paramètre. Certain·es chercheur·es pensent que cette information n’intervient que plus tard dans le processus d’évaluation et d’intégration des informations. D’autres, font l’hypothèse que la phrase joue un rôle direct sur l’identification des mots. Quoi qu’il en soit, il a été prouvé que les mots sont plus facilement reconnaissables lorsqu’ils sont placés dans une phrase dont la grammaire est correcte plutôt que dans des phrases qui n’ont aucun sens.
Maintenant, entrons dans la phase d’interprétation, celle où l’on associe un sens aux mots. Nous allons, encore une fois, nous baser sur un des nombreux modèles proposés par les psycholinguistes. Selon l’un d’eux, le processus de compréhension se fait simultanément à l’identification des mots. En effet, en fonction de la situation, la personne qui écoute dispose de nombreuses informations : elle connaît la personne qui se trouve en face d’elle, son appartenance sociétale, son âge, etc. Elle va alors les utiliser afin d’anticiper le message en faisant des hypothèses sur le sens qui devrait être véhiculé au cours de la discussion. Ces hypothèses se font à tous les niveaux : le message global, la phrase ou le mot. À cela se mélangent les connaissances de la langue utilisée ainsi que le signifiant et le signifié de chaque signe linguistique. Tout cet ensemble permet donc de vérifier les hypothèses émises. Celles qui sont alors retenues pourront, par la suite, être validées grâce à d’autres indices au cours de la discussion.
Bien que tous ces procédés soient universels, il ne faut pas oublier que lors d’une discussion c’est quelqu’un qui écoute quelque chose dans une situation particulière. Chaque individu peut interpréter de façon différente selon son vécu ou sa façon de voir le monde. La situation, quant à elle, est d’une importance capitale.
Lina GREFFET