Au cœur des mathématiques
Lisl Weynans, maîtresse de conférence à l’université de Bordeaux [1], aime la découverte, surtout lorsqu’elle est mathématique. Les applications de ses recherches actuelles en cardiologie contribuent directement à la société. Des travaux qui font sens pour cette chercheuse curieuse et passionnée.
« Il y a plein de choses que j’aime, pas que les mathématiques. Par exemple, j’aime beaucoup la physique, la biologie, l’informatique, mais aussi les langues étrangères. Je ne suis pas qu’une scientifique. » Impossible de tout étudier, Lisl Weynans fait un choix et se tourne vers les mathématiques, discipline qu’elle aime pour son côté logique. Ce sont des énigmes à résoudre. Après une classe préparatoire, elle intègre une école d’ingénieur·e généraliste à Paris. Lisl Weynans s’intéresse tout particulièrement aux mathématiques appliquées à la biologie. Elle s’essaie à ce domaine avec un stage de master dans un laboratoire d’imagerie médicale. Une expérience malheureusement pas à la hauteur de ses attentes.
Après son master, elle décide donc de postuler à une thèse sur un tout autre sujet : la fusion nucléaire. C’est une thèse en mathématiques appliquées qu’elle réalise au Commissariat d’énergie atomique et aux énergies alternatives. Dans sa tête, Lisl Weynans pensait étudier l’énergie propre, l’énergie civile. Pourtant, à sa grande surprise, une fois la thèse commencée elle découvre une toute autre application de ses recherches… Les bombes nucléaires !
Son sujet porte sur les instabilités entre deux fluides. Concrètement, il s’agissait de « faire des méthodes mathématiques pour simuler sur un ordinateur des problèmes entre deux fluides qui ne se mélangent pas, un peu comme avec l’eau et l’huile, mais avec une interface instable entre les deux », explique Lisl Weynans. Le sujet en soi lui a beaucoup plus, mathématiquement parlant, mais elle ne souhaitait plus continuer ses recherches dans ce domaine d’application.
« À la fin de ma thèse j’ai réfléchi intensément à ce que je voulais faire après et je me suis rendu compte que je voulais vraiment faire de la recherche. » Elle change tout naturellement de sujet et réalise un post-doctorat de quelques mois à Paris. Son travail porte sur les aérosols dans les voies respiratoires. Peu de temps après, elle passe une audition pour un poste de maître de conférences à l’université de Bordeaux. Lisl Weynans pense qu’elle n’a aucune chance d’être prise. Sa cheffe de post-doctorat insiste sur le fait qu’il faut bien préparer cette audition. Alors, la jeune docteure s’applique et les résultats sont au rendez-vous puisqu’elle est retenue pour le poste. « Ma cheffe m’a dit quelque chose d’important ce jour-là. »
En effet, ce poste de maître de conférence à Bordeaux, elle l’occupe toujours, 13 ans plus tard.
L’ennui n’existe pas !
Fraîchement intégrée à l’université de Bordeaux, elle continue ses recherches en mécanique des fluides. Quelques années plus tard et après deux équipes de recherches différentes, elle a envie de changement. « J’étais un peu fatiguée de faire de la mécanique des fluides, même si c’est très intéressant. Le problème est qu’étant donné que le sujet est très traité, les marges de progression ne sont pas énormes. Par ailleurs, quand on fait des méthodes numériques, on a envie qu’elles servent vraiment à des gens », précise Lisl Weynans. Progressivement, elle revient à son intérêt premier : les problèmes biologiques. Un sujet qui la passionne toujours, notamment les problèmes d’électroporation de cellules biologiques, qu’elle a déjà eu l’occasion d’étudier. Il s’agit de trouver des moyens d’ouvrir la membrane des cellules ou de détruire des cellules cancéreuses. Un domaine dans lequel il y a encore beaucoup de recherches à faire.
En discutant avec Yves Coudière, le responsable de l’équipe-projet Carmen, du centre Inria Bordeaux – Sud-Ouest, qui traite de mathématiques appliquées à la cardiologie, la curiosité de Lisl Weynans s’éveille. « Je me suis rendu compte que les équations de la cardiologie, je les connaissais déjà un peu. Elles sont proches de celles de l’électroporation. Je me suis dit que ça ouvrait des possibilités vraiment intéressantes puisqu’à Bordeaux, il y a l’Institut Hospitalier Universitaire (IHU) de rythmologie cardiaque. [2] » Elle prend plusieurs mois à se décider mais intègre finalement cette équipe en 2016. « J’ai envie de faire des choses qui servent, que ça marche. Les possibilités d’appliquer m’ont vraiment motivée. C’est un domaine où il y a pas mal de mathématicien·nes mais il reste beaucoup de choses à faire », explique la chercheuse.
Sans oublier qu’en parallèle de ses recherches, elle continue à faire des travaux en mécanique des fluides, pour le plaisir, sur des problèmes d’écoulements côtiers.
Autant dire que Lisl Weynans n’a pas le temps de s’ennuyer en recherche !
Image de travaux de Lisl Weynans en mécanique des fluides. Il s’agit d’un affichage d’une grosse bulle d’air dans de l’eau, en train de se déformer. La ligne blanche est le contour de la bulle, et les couleurs indiquent l’amplitude de la composante horizontale de la vitesse.
Un projet qui tient à cœur
Aujourd’hui, la mathématicienne travaille sur un projet de cardiologie. « L’idée est de créer des sortes d’électrocardiogrammes très sophistiqués et précis. » Avec un électrocardiogramme ordinaire, on pose des électrodes sur le torse d’une personne et on enregistre l’activité électrique du cœur. Les cardiologues peuvent, à l’aide de ces données, détecter divers problèmes dans une zone précise du cœur. Cette méthode n’est cependant pas parfaite et pas assez précise. Certains problèmes latents qui peuvent causer des arythmies ne sont pas toujours détectés.
Mieux comprendre notre cœur et ses battements, indispensables à la vie, est l’objectif de ce projet. Des scientifiques ont alors imaginé un gilet avec des centaines d’électrodes qui permettent d’enregistrer le champ électrique à la surface du torse. « L’idée est d’utiliser ces mesures pour reconstruire le champ électrique du cœur et en déduire des anomalies de fonctionnement. On appelle cela un problème inverse : on doit remonter du torse vers le cœur. Généralement, on a des données pour le cœur et le torse puis on déduit l’activité électrique dans tout l’intérieur », précise Lisl Weynans. Remonter du torse vers le cœur est donc bien plus difficile. Il faut des techniques mathématiques permettant d’avoir une information fiable et non atténuée. « On peut avoir un signal très clair sur le cœur qu’on ne peut évidemment pas mesurer directement. Puis en se propageant à l’intérieur du torse, il se floute de plus en plus. On ne sait même pas à quel point on peut reconstruire ce signal récupéré au niveau du torse. »
Concrètement, le gilet récupère des informations au niveau du torse provenant du cœur. Comprendre correctement ces données relève d’un problème mathématique.
Mais comment résoudre ce problème ? Une première approche sur laquelle Lisl Weynans se penche est de coupler ce signal, allant de la surface du torse au cœur, avec un modèle qui décrit la propagation du champ électrique sur le cœur. L’objectif est d’en tirer plus d’informations, mais celles-ci auront forcément la même allure que le modèle choisi. La chercheuse travaille sur une deuxième approche, coupler le signal avec des techniques de reconstructions non-invasives des organes dans le torse. Pour l’instant, on suppose que le torse est un volume homogène, c’est-à-dire qu’on ne tient pas compte des différents organes.
« Je ne sais pas si cela va marcher, peut-être que ça ne suffira pas. Mais je me dis que de toute manière cela va donner de l’information en plus, qui sera utile un jour. Je suis assez enthousiaste. »
Lisl Weynans encadre deux doctorantes. « Je trouve ça important de former des gens à la recherche. Les personnes arrivent sans à priori sur les sujets, c’est intéressant. Cela apporte des idées neuves. » Pour preuve, une de ses doctorantes actuelles, Niami Nasr, qui travaille sur le même sujet, a obtenu en novembre 2020 des résultats très prometteurs. Son objectif, à terme, est de reconstruire une carte de conductivité des organes dans le torse. Elle veut comprendre comment le courant électrique traverse les organes. À l’aide d’algorithmes, elle a réussi sur des exemples simples. Lisl Weynans, qui travaille directement avec elle, est fière de sa doctorante : « On est très contentes. On n’était pas certaines que ça marcherait et ça marche ! Donc c’est enthousiasmant. »
Les résultats de Niami Nasr en image. À gauche, le point rouge représente une zone théorique de conductivité élevée. À droite, les résultats après utilisation de son algorithme. On constate que l’on voit où est la zone de conductivité élevée.
La recherche, un besoin vital
Il n’y a pas de doute, Lisl Weynans est passionnée par ses travaux de recherches. Pourtant cela n’occupe pas la majorité de son quotidien. Elle doit également donner des cours, assister à de nombreuses réunions, discuter de projets avec ses collègues, lire des articles. « Je passe beaucoup de temps derrière un ordinateur. Je lis, je programme. J’écris sur des brouillons, je teste. Cela reste très désincarné. » Son métier, chercheuse, lui apporte une grande liberté dans l’organisation de son temps et dans ses choix. Pourtant il s’agit aussi d’une contrainte : « Je passe mes journées à chercher comment je peux optimiser mon travail et faire le plus de choses possibles dans le meilleur ordre possible. »
Le bureau préféré de Lisl Weynans pendant le confinement : son canapé. Son ordinateur et sa pile de brouillon sont ses outils de travail indispensables.
Il est facile de constater que « des choses », elle en fait. Entre autres, la chercheuse s’investit en médiation des sciences. Elle ne compte plus les ateliers et les exposés pour des classes de lycée ou de collège ainsi que pour des enseignant·es de mathématiques, qu’elle organise ou anime. Une opportunité pour elle de parler de ses travaux et leurs applications, de son parcours avec ses réussites et ses échecs. Des moments de partages qui lui permettent aussi d’être visible, en tant que femme mathématicienne. « Je pense que c’est important de voir des femmes scientifiques. Pour montrer que l’on est là. » Les mathématiques sont une discipline trop souvent associée aux hommes. Évoluer dans ce milieu n’est pas toujours évident. « Il y a une forme d’invisibilisation des mathématiciennes. Pleins de petits biais inconscients qui font que nous sommes moins écoutées, qu’on ne nous propose pas les mêmes choses qu’aux hommes. J’aimerais que cela change. »
Pour beaucoup de personnes, les mathématiques sont une discipline abstraite, isolée du monde. Pourtant les recherches de Lisl Weynans prennent tout leur sens : « Je peux allier le plaisir que j’ai à faire des mathématiques avec le plaisir de pouvoir contribuer à quelque chose d’utile pour la société. » Une application concrète qui stimule et motive la mathématicienne dans sa vie. « J’ai besoin de faire de la recherche. J’ai besoin de me poser des questions, réfléchir, découvrir. Pour moi, c’est un jeu. Certes ce n’est pas un jeu facile mais je ne pourrais pas vivre sans, ça me manquerait. »
Nina GASKING
« Je n’aurais pas été là si…
… je n’avais pas eu les encouragements de ma cheffe de post-doctorat pour bien préparer mon audition pour le poste de maître de conférence à l’université de Bordeaux. »
[1] Affiliée à l’équipe-projet Inria Carmen et l’Institut Hospitalier Universitaire Liryc de Bordeaux.
[2] Le liryc.