Les serrures de l’odorat
La vue et l’ouïe volent la vedette à nos autres sens. Pourtant, l’odorat est essentiel pour notre alimentation, notre survie et même nos interactions sociales. Précisions avec Lisa Roux, chercheuse à l’Institut interdisciplinaire de neurosciences de Bordeaux.
Tout au long de la journée, les odeurs stimulent nos narines. Mais qu’est-ce qu’une odeur ? « C’est souvent un mélange de molécules chimiques » précise Lisa Roux. Celles-ci sont volatiles et transportées par l’air jusque dans la cavité nasale. « La première étape de la perception olfactive est la détection des molécules odorantes par des récepteurs qui fonctionnent comme un système clé-serrure. » Les molécules qui font office de clés, sont reconnues par des récepteurs semblables à des serrures qui leur correspondent. On retrouve ces récepteurs dans des cellules nerveuses appelées neurones sensoriels, présentes dans la cavité nasale. « La reconnaissance molécule-récepteur génère un signal électrique qui est acheminé vers le bulbe olfactif dans le cerveau. » Là, l’information est traitée une première fois, avant d’être envoyée à d’autres zones du cerveau, où elle est de nouveau transformée et traitée. Ainsi, le mélange de molécules odorantes détecté par notre nez devient un signal chimico-électrique que le cerveau va analyser pour déterminer de quelle odeur il s’agit.
L’identification des odeurs est-elle innée ou le résultat d’un apprentissage ? La question n’a pas encore été tranchée. « Une odeur est caractérisée par sa qualité, son intensité et sa valeur affective. Quand on y pense, il y a très peu d’odeurs que l’on considère comme neutres. Il y a cette valeur affective qui est assez propre à l’olfaction. »
L’olfaction, détecteur de dangers
Bien que souvent considéré comme moins important que ses confrères, l’odorat a « une fonction fondamentale pour la plupart des espèces. Il nous permet de détecter si la nourriture est saine ou non et donc de sélectionner les aliments ». L’odorat est primordial pour la survie d’un individu, il permet de repérer des situations dangereuses et de déclencher les comportements adaptés. Il joue un rôle social important. « On sait que chez l’humain ce sens est très impliqué dans la relation mère-enfant et que chez les rongeurs les odeurs sont très importantes pour la reconnaissance entre individus. Chacun aurait une signature olfactive unique qui serait liée à l’expression de ses gènes, son vécu, son statut hiérarchique et son état de santé entre autres. Cette signature les rend reconnaissables par leurs congénères. » Dans nos sociétés, les odeurs naturelles sont taboues et masquées, donc chez l’humain l’olfaction est peut-être moins utilisée pour reconnaître les individus. Mais la chercheuse indique : « Je pense que nous l’utilisons beaucoup plus que nous le croyons et surtout de manière plus inconsciente. »
La scientifique étudie le dialogue entre le système olfactif et les structures cérébrales de stockage de la mémoire. Une des particularités de l’odorat est anatomique : il y a un lien presque direct entre le bulbe olfactif et des régions du cerveau impliquées dans le stockage de la mémoire et dans la gestion des émotions. Existerait-il des liens privilégiés entre odeurs et mémoire, entre odeurs et sentiments ?
Ana HIQUET-SANCHEZ
À PROPOS DE Lisa Roux
Lisa Roux est chercheuse à l’Institut interdisciplinaire de neurosciences (IINS) du CNRS et de l’université de Bordeaux. Elle supervise l’équipe « Olfaction et mémoire ».